©Photo Michel WASIELEWSKI -Fondation Varenne / La tribune avec Jean-Yves VIF,
Francoise VERNA, Soizic BOUJU, Jean-Michel BAYLET, Bernard STEPHAN
PRESSE ET POLITIQUE,
L’INSEPARABLE DUO
Le 4 octobre 1919 Alexandre Varenne créait le journal La Montagne. 105 ans après, le 4 octobre 2024, un colloque sur le thème de la presse et la politique « Au miroir d’Alexandre Varenne » s’est tenu à l’Université de Clermont Auvergne pour plancher sur la relation singulière entre hommes politiques et journalistes.
C’était un pari difficile, plancher sur la double face de Janus, l’homme politique qui est aussi homme de presse et la relation politiques et journalistes. Tel était le thème du colloque organisé le 4 octobre par la Fondation Varenne dans les locaux de l’école de droit de l’Université Clermont Auvergne. Bien sûr cette réflexion était conduite au miroir de la vie et de l’action d’Alexandre Varenne, homme politique résolument engagé à gauche, fondateur du journal La Montagne et longtemps éditorialiste dans les colonnes de son journal. Il s’agissait au travers des exposés et des échanges de s’interroger aussi sur la liberté de la presse et sur son exercice.
C’est ainsi que plusieurs intervenants, ont apporté l’éclairage de journaux qui ont pu par le passé montrer comment s’est exercée la relation entre politiques et journalistes, entre politiques et journal. Parmi les nombreux invités, grand témoin et grand acteur, Jean-Michel Baylet, PDG du journal La Dépêche, homme politique, ancien ministre, qui a au cours de sa carrière occupé presque tous les postes éligibles de la République.
Des journaux « outils politiques »
C’est Philippe Page (Fondation Varenne) qui ouvrait le bal en donnant lecture d’un texte de l’universitaire Fabien Conord (empêché) sur la carrière de Varenne, homme de presse engagé et homme politique maniant avec art et pertinence la plume.
Vincent Flauraud (Université d’Auvergne) a brossé un tableau dynamique du cas de deux hommes politiques du Cantal sous la IVè République, Camille Laurens et Géraud Jouve, députés différemment engagés et s’appuyant sur des hebdomadaires locaux « qui étaient vraiment les outils politiques de ces parlementaires dans leurs circonscriptions. »
Christian Bougeard (Université de Bretagne occidentale) a développé au cours d’un brillant exposé la figure de René Pleven, ex-ministre du général de Gaulle, européen militant, centriste, fondateur du Petit Bleu des Côtes d’Amor qui en fit pendant plus de quarante ans son journal dans lequel il écrivait un éditorial de haute volée analysant la situation politique du moment.
Jean-Yves Vif (ex rédacteur en chef de La Montagne) a présenté une analyse des éditos de Varenne : « Sa passion d’éditorialiste a guidé Alexandre Varenne pendant vingt-huit ans sur les chemins d’une grande liberté de ton et d’un engagement sans faille avec pour objectif final commun de travailler au bien public (…) »
Anne-Laure Olivier (Professeure agrégée à Poitiers) a mis le focus sur le journal de Marseille Le Provençal et son patron emblématique Gaston Deferre. Homme politique éminent, il fut souvent ministre, député, maire de Marseille. Et il appliquait à la lettre la vieille maxime « Qui tient la presse tient le pouvoir ». Autre époque, autres mœurs, on a là une véritable confusion des genres et des fonctions, l’homme politique corrige les pages du journal penché sur le marbre de l’imprimerie, Le Provençal « est l’exemple parfait d’une machine à propagande personnelle ».
.Jean-Michel BAYLET PDG groupe La Dépêche
« Nous prenons position »
On n’est plus dans ces temps avec Jean-Michel Baylet, PDG de La Dépêche, journaliste lui-même et homme politique. A cet égard le grand témoin du colloque dira qu’il y a toujours un équilibre à trouver mais que le journaliste et l’homme politique sont inséparables parce que l’un fait l’actualité, l’autre commente l’actualité. Alors quel engagement aujourd’hui pour un journal comme La Dépêche qui fut fondé par des anarchistes il y a plus de 150 ans et géré par une coopérative ouvrière à ses débuts ? Réponse de Jean-Michel Baylet : « C’est un journal engagé pour la laïcité, les valeurs de la République et l’Europe. Nous ne sommes pas un journal d’opinion, mais nous prenons position. Nous ne disons pas aux gens qui élire, mais nous appelons à voter contre le rassemblement national au nom des valeurs républicaines que nous défendons. » Une indépendance d’esprit qui rejoint ce que le PDG de La Dépêche appelle l’indépendance économique de la presse, grand défi, d’autant que les entreprises du secteur sont très fragiles, surfant sur une crête particulièrement instable. Mais à l’évidence c’est bien l’indépendance économique qui assure l’indépendance éditoriale.
« L’indépendance ; condition essentielle »
C’est un peu l’avenir de la presse qui a constitué le fil rouge de la table ronde qui a réuni Soïzic Bouju, directrice générale de La Montagne et du groupe Centre-France, François Verna, rédactrice en chef adjointe du journal La Marseillaise et Jean-Michel Baylet. Soizic Bouju a mis l’accent sur un point majeur de la presse régionale, son ancrage dans les territoires et son attachement aux lieux et aux gens qui y vivent. Assurer partout l’avenir de nos journaux, c’est bien un pari pour la richesse de l’information et du débat public. Soizic Bouju prenant pour exemple les Etats-Unis où de grands territoires ont perdu tous leurs journaux, territoires dans lesquels le trumpisme a été triomphant. Prenons garde, quand la presse disparait les populistes prospèrent encore davantage. Françoise Vernat a longuement évoqué la tradition de son journal venu du Parti Communiste. Aujourd’hui délié de ce cordon ombilical, La Marseillaise porte une grande écoute au mouvement social et entend rester sur ce sillon. La conclusion revenant à Jean-Michel Baylet pour qui une presse dynamique indépendante est une condition, comme l’avait voulu en Auvergne Alexandre Varenne, pour la vigueur du débat public et la défense des valeurs de la République. Et même si la diffusion de la presse papier diminue, c’est le transfert et la relève sur le numérique qui doivent être prometteurs d’un nouvel avenir de la PQR.
C’était à Mathias Bernard, président de l’université Clermont Auvergne, de conclure. Historien lui-même, Mathias Bernard a rappelé la fonction pédagogique de la presse : « Pour avoir des citoyens éclairés, il fallait des citoyens éduqués et informés. Ainsi après l’éducation des masses au début de la IIIe République, l’accès à la lecture pour tous, c’est la diffusion massive des journaux qui vint asseoir la républicanisation. » Aujourd’hui la montée en force des attentions à la déontologie, la création des chartes rédactionnelles, des comités d’éthique, sont autant de signes que la presse bataille pour son indépendance éditoriale, ce qui est finalement une note optimiste.
Bernard Stéphan
Les Actes du colloque seront publiés dans quelques mois.
Vincent FLAURAUD Maitre conférence Université Clermont Auvergne
Anne-Laure OLLIVIER Professeure agrégée lycée Camille-Guérin Poitiers
Christian BOUGEARD Professeur Université de Bretagne occidentale
Soizic BOUJU Directrice générale groupe Centre-France
Françoise VERNA Rédactrice en cheffe adjointe de l’Hebdo La Marseillaise
Mathias BERNARD Président de l’Université Clermont Auvergne